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A l'ombre des mûriers !
A l'ombre des mûriers !

S'il est un lieu emblématique de la vie militante, à Nîmes, c'est bien le Prolé.

"Prolé" pour "Prolétariat", évidemment... Mais dans ses murs, c'est aussi l'histoire des communistes français qui s'égraine au fil des luttes, au travers des soubresauts de l'histoire nationale, au XXème siècle.

Fondée le 27 septembre 1908, cette "Maison du Prolétariat" incarne plus de 100 ans de luttes sociales à Nîmes, des heures fastes aux périodes plus calmes. Et si le lieu a évolué au long cours de son histoire, il conserve incontestablement l'empreinte de ce passé militant, et s'inscrit encore dans le présent, comme un lieu hors du commun.

Au 20 de la rue Jean Reboul, l'histoire du prolétariat de Nîmes résonne encore en écho, dans la pierre pierre sèche, à l'ombre des mûriers, au Prolé, qui est toujours une coopérative, comme au jour de sa naissance.

La composition de son Conseil d'Administration, en 2008, quand fut fêté son centième anniversaire? Deux cheminots, un technicien des télécoms, une aide-soignante, un employé de préfecture, un serrurier, et un postier, tous militants communistes et syndicalistes...

Le bar du Prolé
Le bar du Prolé

Les concepts théoriques qui ont présidé à la création du lieu et au nom qui lui a été donné, sont simples à saisir.

En ce début de XXème siècle, dans une époque dite Belle a posteriori, le mot prolétariat est évidemment un terme militant qui, sans ambiguïté, évoque la lutte des classes et se réfère autant aux théories marxistes qu'au mouvement syndical révolutionnaire.

Marx, Engels, mais aussi Proudhon ou Charles Gide, économiste socialiste fondateur de l'Ecole de Nîmes, qui théorise le concept de coopérative ouvrière, ne sont pas loin, dans les fondements intellectuels du Prolé... C'est une maison du peuple, comme toutes celles qui fleurissent en France, à la même époque. Rien qu'à Nîmes, trois maisons du peuple existaient déjà à la création du Prolé.

L'histoire du socialisme dans le Gard est à la fois singulière, étant donné le caractère encore fortement rural du département au début du XXème siècle, et conforme au développement du mouvement ouvrier national, dans cette France qui, encore, lutte âprement. Les prolétaires ont peu à perdre, et tout à gagner...

En 1906, la Fédération Socialiste du Gard est la troisième de France, en terme d'effectifs, et les députés de Nîmes, d'Alès et du Vigan sont socialistes. En 1908, 32 mairies du Gard sont conquises par les socialistes !

Et quand on dit "socialistes", en 1908, les réalités politiques qu'évoquent ce mot ne sont certes pas celles d'aujourd'hui... C'est un mouvement ouvrier, qui se structure autour des luttes syndicales, politiques, et entend répondre aux besoin de ses militants, jusque dans leurs maigres loisirs, à une époque où on en a fort peu.

Le Prolé, à Nîmes : plus de cent ans de luttes !

Dès sa création, on y vend des boissons, des produits alimentaires, mais aussi des brochures militantes, et on y met à disposition de tous la presse et les livres...

Les chorales ouvrières, les troupes de théâtre, et toutes les initiatives culturelles animées par les travailleurs y trouvent naturellement leur place.

Les formes de sociabilité que créent l'existence des Maisons du Peuple sont cruciales.

A cette époque, on est encore conscient du fait que la lutte se prépare et s'enrichit des rapports humains et fraternels, et non seulement de jargon théorique ! Et les différentes tendances du mouvement ouvrier se côtoient dans ces maisons du peuple : On ne peut se permettre, alors, devant les enjeux de l'époque, d'un esprit de chapelle excessif et paralysant inévitablement l'action...

Dans cette perspective globale d'un mouvement ouvrier fort et unifié, le Prolé fut donc pensé comme un instrument capable de fédérer les différentes tendances, en devenant les deux coopératives existantes, la Maison du Peuple et la Maison du Prolétariat.

Inaugurée le 1er novembre 1908, cette nouvelle Maison du Prolétariat, qui ouvre Place de la Couronne, ne parvient pas, cependant à faire entrer dans son giron la Maison du Peuple, plus bourgeoise et plus modérée, appartenant au PSF, devenu minoritaire à Nîmes.

Et dès 1910, cette jeune Maison propose aux militants des lotos, des "chorales prolétariennes", des concerts... 1800 personnes, alors, peuvent se rassembler Salle de l'Oratoire !

En 1914, cependant, comme partout en France, les militants nîmois prennent le chemin de la Grande Guerre, et le lieu s'endort, pour un temps, tandis que résonnent les canons sur le front, et que la grande boucherie ensanglante l'Europe.

Jean Paulhan en 1938
Jean Paulhan en 1938

Comme partout dans les pays belligérants européens, l'année 1917 et la Révolution Russe marquent le retour du bouillonnement révolutionnaire, enlisé jusque là dans la boue des tranchées. On se mutine sur le front; et à l'arrière, les civils continuent de faire vivre les lieux de sociabilité ouvrière désertés.

Et l'année 1917, pour le Prolé, c'est aussi l'heure du déménagement au 20 de la rue Jean Reboul, dans ce quartier central, à deux pas des Arènes, et où les petits commerces sont nombreux, où les immeubles à trois ou quatre étages abritent une grande mixité sociale, dans un contexte où la présence des religions catholique et protestante est aussi très marquée dans l'espace urbain nîmois. C'est un laboratoire social et politique, ce quartier...

Jusque là, la maison de la rue Jean Reboul appartient, depuis 1834, à la famille de l'écrivain et futur académicien Jean Paulhan. La cour du Prolé est alors un jardin, telle que la décrit le père de l'écrivain, qui y passa une enfance au milieu des arbres fruitiers, et où l'observation des insectes l'occupe des heures :

Je croyais que tu avais vu, avant notre départ de Nîmes, le jardin de la rue Jean Reboul à côté duquel tu es né et que tu as quitté à dix mois environ. Ce jardin avait 27 mètres de long sur 12 de large en moyenne [...] mais il a été un monde pour moi, un monde aux contrées variées. Dans l'ensemble, il m’apparaît comme un pays luxurieux, chaud, éclatant et parfumé [...] C'étaient des lauriers qui tapissaient le mur de gauche, exposé au Nord et qui, vers le bout de l'allée, en garnissait les deux côtés. Le mur exposé au midi, au contraire, était clair, ensoleillé, tapissé de grands rosiers grimpants qui se couvraient, à la saison, de petites roses jaunes, et il était toujours, au temps chaud, sillonné de lézards gris.

Frédéric Paulhan , extrait de "Cent Ans avec le Prolé", Michel Boissard, Raymond Huard, Claude Mazauric

Le Prolé, à Nîmes : plus de cent ans de luttes !

Si le jardin est bientôt remplacé par une cour, plus adaptée aux activités militantes et culturelles, il reste quelque chose de cette atmosphère, dans la cour du Prolé.

Entre 1920 et 1939, avec le traumatisme de la Grande Guerre chevillé au corps, le mouvement ouvrier se reconstruit, à Nîmes. Et l'exemple à suivre, comme dans toute l'Europe, c'est la Révolution Russe, qui a triomphé de la guerre et du capitalisme. L'heure est à la révolution, et l'échec des grèves de 1920, ainsi que les défaites électorales, conforte le Parti dans cette orientation subversive.

A l'échelle nationale, c'est également le séisme politique. Au Congrès de Tours,en decembre 1920, 50,9% des adhérents votent l'adhésion à la Troisième Internationale, tandis que l'amendement de Blum n'obtient que 8% des suffrages. Et Nîmes, clairement, comme le Congrès, choisit cette orientation révolutionnaire.

Alors, les biens du Parti Socialiste de Nîmes passent au Parti Communiste naissant, dont son organe de presse, le Réveil Socialiste, et le Prolé de la rue Jean Reboul. Et les activités du lieu se déploient de nouveau, de concert en fêtes, tout en continuant à tenir son rôle d'épicerie sociale.

A partir de la Crise de 29, le Prolé devint enfin le haut-lieu de la lutte, pour laquelle il a été créé. En réponse aux événements du 6 février 1934, tentative de coup d'état fasciste, la lutte s'organise au sein d'une alliance politique entre le Parti Communiste, la SFIO et les Radicaux. C'est le Front Populaire.

Et Nîmes n'est pas à l'abri de la peste : son conseil municipal compte alors une dizaine d'élus d'extrême-droite royaliste, et l'Action Française y trouve de nombreux soutiens au sein de la bourgeoisie catholique. Alors, comme à l'échelle nationale, communistes et socialistes nîmois créent un Comité d'Intervention antifasciste, le 14 juillet 1935, dont le siège est le Prolé. Y convergent toutes les initiatives et les coopératives et associations ouvrières.

Au rythme du jazz naissant, la vie au Prolé s'organise autour des luttes, ponctuées de fêtes, jusqu'à la victoire du Front Populaire en mai 1936, aux élections législatives. Plus que jamais, le Prolé est le coeur de cette révolution joyeuse, telle qu'elle est perçue par les travailleurs de l'époque... 40 heures de travail hebdomadaire, et trois semaines de congé payés, c'est assez pour passer plus de temps dans sa cour, à l'ombre des mûriers.

Mais il n'y a pas que la Fête... En Espagne, Franco assassine tout un peuple, et il est soutenu dans sa tâche meurtrière par les avions d'Hitler... Le Prolé devient alors la base du recrutement des Brigades Internationales, et on s'y presse dans le but de partir voler au secours de la jeune République Espagnole. Le Comité féminin contre la guerre et le fascisme y collecte des vivres, des médicaments. que le Secours Rouge achemine en Espagne. Les 700 francs de recette du concert de jazz, par le groupe espagnol El Empastre sont immédiatement destinés à alimenter la lutte des frères espagnols.

Le Prolé entre dans une dimension internationale...

Fresque de Maurice Laurent
Fresque de Maurice Laurent

Puis vient le temps de la guerre, et de l'occupation... Mais c'est avant l'invasion allemande que commencent les malheurs du Prolé et du PCF...

Dès le 26 septembre 1939, le radical Edouard Daladier fait voter la dissolution du Parti Communiste Français, qui a refusé de condamner le Pacte de non-agression germano-soviétique...

Les biens du Parti Communiste sont saisis, et ses parlementaires poursuivis, bien avant l'invasion allemande de mai 1940 ! La scène est prête pour la période la plus sombre de l'histoire du Prolé.

Ainsi, Lucile Oulié-Malignon, résistante et rescapée du camp de Ravensbrück témoigne-t-elle de la disgrâce dans laquelle tombe le Prolé :

Dès le 1er ou le 2 septembre 1939, les scellés ont été posés aux portes de la Maison du Prolétariat, après perquisition de la police.

Lucile Oulié-Malignon, extrait de "Cent Ans avec le Prolé", Michel Boissard, Raymond Huard, Claude Mazauric.

Le Prolé, à Nîmes : plus de cent ans de luttes !

Mais la perquisition ne donne rien. Tous les fichiers nominatifs ont déjà été détruits. Avant la saisie des denrées alimentaires et du matériel, le gérant de l'époque, Léon Vergnole, métallurgiste, déménage de nuit ce qui peut être sauvé, pour les stocker au local de la rue Mareschal, qui devient un lieu de rencontre clandestin.

Alors, sous Vichy, l'ancienne Maison du Prolétariat, lieu de toutes les luttes, abrite Les Compagnons de France, dans la logique de la politique corporatiste qui entend substituer à la lutte des classes un "partenariat" entre patrons et ouvriers... Il semble cependant que l'atmosphère du lieu ait contaminé les jeunes compagnons, puisque certains entrent également en Résistance, provoquant la dissolution en janvier 1944 de leur organisation.

Il y a des lieux qu'on ne recycle pas si facilement, semblerait-il !

Dès le 24 août 1944, les Résistants communistes reprennent le Prolé où, à leur grande surprise, le marteau et la faucille sont toujours présents sur le mur qui surplombe la petite scène, dans la cour...

L'Après-Guerre voit la renaissance de toutes les festivités et des combats, tandis que le Parti des Fusillés jouit d'un immense prestige, à Nîmes comme dans toute la France. Les lieux de réunion, de convivialité, les sièges de cellules se multiplient, mais parmi eux, le Prolé garde sa popularité.

1947... La Guerre Froide qui s'annonce laisse augurer de temps bien difficiles encore, pour les Communistes français, tandis que les grèves des mineurs du Pas-de-Calais, mais aussi du Gard, sont réprimées par l'armée, envoyée par le socialiste Jules Moch... Les ministres communistes sont exclus du gouvernement par le Président du Conseil socialiste Ramadier.

Et à Nîmes, au Prolé, on entre de nouveau en guerre contre la social-démocratie, aux accents fougueux des discours de Maurice Thorez, qui fait Arènes combles, et des fêtes qui renaissent dans la cour ombragée.

A deux pas des Arènes...
A deux pas des Arènes...

Les années 50 sont fastes ! Les chaises et les tables sont repeintes en rouge, les manifestations culturelles, les réunions politiques, les concerts et les concours se multiplient au Prolé.

On y lutte contre le réarmement allemand et le projet de CED (communauté européenne de défense), contre la Guerre d'Indochine, à une époque où les militants n'ont pas froid aux yeux, comme le raconte Lucien Portal, gérant de l'époque, ancien cheminot, radié de la SNCF pour avoir exercé ses droits syndicaux :

Un jour, les gars du Bar du Lycée, en face du Prolé, nous signalent qu'on vient de mettre le feu au journal (NDLR : L'Humanité.) exposé sur les panneaux. Les auteurs de ce coup plastronnaient au Café de la Bourse, non loin de là. Les camarades sont allés les chercher, les ont ramenés au Prolé, et leur ont fait passer l'envie de recommencer !

Lucien Portal, extrait de "Cent Ans avec le Prolé", Michel Boissard, Raymond Huard, Claude Mazauric.

Le Prolé, à Nîmes : plus de cent ans de luttes !

Puis, c'est la Guerre d'Algérie qui mobilise toutes les attentions... Les femmes, surtout, se mobilisent pour le retour de leurs fils, de leurs maris et de leurs amoureux. Et pour prévenir les agressions, des gardes sont organisées au Prolé.

Mais c'est aussi de la déstalinisation engagée par Khrouchtchev en URSS qu'on discute au Prolé ... Et la naissance du tiers-mondisme, avec le coup d'éclat de Nasser qui nationalise le canal de Suez, renvoyant la France et le Royaume-Uni au rang de puissances moyennes, dans la cour des deux Grands.

On y manifeste timidement sa désapprobation face à la répression en Hongrie, en 1956, avec un succès très relatif, cependant... L'heure n'est pas encore à la remise en cause des liens avec la glorieuse Union Soviétique.

Les années soixante ne sont pas moins effervescentes, et la cour aux mûriers s'ouvre sur toute la ville : lycéens du lycée Daudet voisins, venus lire Marx, comités antifascistes, militants pour la paix en Algérie.

Quand Nikita Khrouchtchev vient en visite à Nîmes, en 1960, le Prolé est aux couleurs soviétiques....

En 1963, lorsque les mineurs de Cévennes sont en grève, il devient le centre des collectes.

Quand, en 1967, Youri Gagarine est accueilli au Prolé, les demoiselles sont en pâmoison...

Et en 1968, le Prolé devient une des bases de la contestation, fréquenté depuis longtemps par des lycéens et des étudiants.On dort au Prolé, on y craint les attentats contre-révolutionnaires et on surveille la rue... Et le déchirement est réel, lorsque les nouvelles arrivent de Prague, et que les chars soviétiques passent le Pont Charles, en colonne.

Avant la grande désillusion de 1983, le Prolé est évidement un lieu majeur de la construction du l'Union de la Gauche, soutenue par le maire communiste de Nîmes, Emile Jourdan, élu en 1969, et réélu... jusqu'en 1983, justement.

Encore, dans les années 90, on s'y oppose au traité de Maastricht, puis, en 2005, au traité constitutionnel européen qui fait ployer les peuples sous l'austérité et engraisse le capitalisme déjà gavé...

Le peintre Maurice Laurent, aujourd'hui disparu.
Le peintre Maurice Laurent, aujourd'hui disparu.

Et le Prolé, aujourd'hui, en ce début troublé de XXIème siècle ? Il vit encore...

Les ombrages prolétariens existent toujours et abritent encore militants, lycéens, travailleurs.

On y boit encore à l'ombre des mûriers, sous l’œil combattant du militant palestinien emprisonné depuis 2002, Marwan Barghouti, sur une grande affiche.

On y admire les fresques de Maurice Laurent, et on y entend parfois des mots qui se font rares ailleurs, comme "lutte des classes", ou "prolétariat". Mais c'est plus rare, ici aussi...

Les locataires des appartements, au-dessus du Prolé, y descendent toujours, dans ce qui est un peu leur jardin collectif et convivial. Le journal La Marseillaise, en grande difficulté, y a ses locaux, désormais.

Le bar juste en face s'appelle "Cuba Libre".

Les lycéens viennent toujours y réviser avant le bac.

Et si les fastes de la vie militante nîmoise semblent appartenir à d'autres temps, il y a encore des rêves qui virevoltent au vent, dans la cour du Prolé, qui ne demandent qu'à être attrapés au vol...

La Contre-Histoire remercie vivement M.O.G., qui lui a fait découvrir ce lieu très spécial, et lui a permis d'accéder à des documents passionnants ! Merci, et à bientôt sur la Côte d'Opale !

Tag(s) : #Luttes
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