Au XVIIe siècle, les peuples de l'empire de Russie, malgré la modernisation progressive de l'état, subissent l'ordre féodal, attachés à la glèbe et soumis à la brutalité des propriétaires terriens. La terre appartient aux nobles, les boyards, mais surtout à la très puissante Eglise orthodoxe.
Pour le paysan russe, le monde, c'est le mir, la communauté villageoise, où l'on naît, où l'on grandit et où l'on meurt, dans la misère et l'ignorance... La pression fiscale est terrible, en ces temps de conquêtes impériales. Les guerres contre la Suède et contre la Pologne, en particulier, engendrent une série de taxes insupportables, tandis que la ponction humaine, sous la forme de la conscription, s'intensifie.
Les territoires du Don attirent, depuis le Moyen Age, les fuyards et les paysans écrasés sous le joug seigneurial, grâce à la semi-autonomie dont jouissent les Cosaques.
(Vassili Surikov, Stenka Razin, huile sur toile, 1906, State Russian Museum)
Stepan Timofeievitch Razine, est né à Zimoveyskaya stanitsa, vers 1630, dans une famille aisée de Cosaques du Don, peut-être d'une mère turque. De la jeunesse et de la formation de Stenka, on connaît peu de choses. Probablement bandit, dans la première partie de sa vie, il devient, à l'instar du tsar, un conquérant. D'autres diraient « pirate ».
Au milieu des années 1660, rejoint par des paysans et des minorités non-russes, opprimées, il s'empare, sur la Volga, des navires de fret, puis, à la tête d'une cinquantaine de galères, descend le fleuve et prend un à un les grands ports fortifiés de cet axe vital pour l'empire.
Attaqué par le vovoïde Yakov Bezobrazov, venu d'Astrakhan, il parvient à le vaincre, en 1668, et emmène sa flotte en Perse, par la Mer Caspienne.
Vainqueur des armées du Chah, il prend ses enfants en otage, et devient un puissant seigneur de guerre, auquel le tsar Alexis est contraint d'accorder le pardon, en 1669. Mais Razine poursuit l'offensive contre les voivoides et libère au passage des milliers de prisonniers. Bien souvent, le peuple ouvre les portes aux troupes de Stenka.
A la tête d'une armée de 7000 hommes, il se lance à l'assaut d'Astrakhan, où il instaure un régime original, une république cosaque. Il divise le peuple en groupes, dirigés par les officiers nommés par des assemblées générales. Et il prend le titre de gosudar, équivalent de tsar. Il décide alors d'étendre sa république au rives du Don, et d'en faire la base d'une conquête de Moscou.
Saratov puis Samara sont capturées par l'armée de Stenka, forte alors de 20 000 hommes, mais la ville de Simbirsk, mieux fortifiée et défendue par des renforts, parvient à mettre ses troupes en déroute, en novembre 1670.
La défaite militaire, cependant, ne vient pas à bout de Razine.
Ses émissaires, partout en Russie, de Nijni-Novgorod jusqu'à Moscou, sonnent l'heure de la révolte populaire, par des proclamations sur les places publiques, promettant la fin des boyards, de l'oppression de l'Eglise, des injustices fiscales, et l'instauration d'une parfait égalité, affranchie des hiérarchies. Dans un élan sans précédent, les paysans russes, jusqu'à l'Est de l'Ukraine, se soulèvent, assiégeant les châteaux et les monastères.
Cependant, la révolte s'essouffle face à la résistance nobiliaire. L'excommunication de Razine par le patriarche de Moscou, en outre, sème le doute dans des esprits encore imprégnés de religiosité.
Capturé à Kaganlyk en 1671, puis amené à Moscou, le 6 juin du calendrier russe, 16 juin du nôtre, il est traîné par des chevaux, pendu, puis démembré sur la place rouge.
La répression s'abat alors sur les paysans qui ont participé aux révoltes, la mère de Razine figurant parmi les nombreuses victimes, tandis que le pouvoir central se renforce, au prix de la mise en place d'une bureaucratie très pesante. 11 000 personnes sont exécutées, dans la seule ville d'Arzamas.
Mais le souvenir de Stenka Razine persiste, sous forme de chants populaires russes. L'un d'eux, particulièrement, est resté célèbre, et évoque un épisode célèbre de l'épopée de Razine : Alors qu'ils naviguent sur la Volga, ses hommes craignent que leur chef renie ses idéaux pour vivre comme un potentat, Razine, pour les rassurer, décide de jeter la princesse perse qu'il a épousée par-dessus bord, afin de leur signifier que rien n'est plus haut que la soif de liberté, pas même celle du pouvoir, de l'or ou du bonheur personnel...
Pouchkine lui dédie également une série de poèmes, et il devient, en 1908, le héros du premier film russe, de Mikhail Romachkov, selon un scénario de Gontcharov.
Pour aller plus loin :
R. Mousnier, Fureurs paysannes : Les paysans dans les révoltes du XVIIe siècle (France, Russie, Chine), Paris, 1967.
P. Gaspard, Stenka Razine, l'Aigle de la Volga, Denoël, 1988
Sur la vaste, l'immense Volga
Le long nez d'un bateau fend les ondes,
Sous les coups de rameurs fort hardis,
Des cosaques, gaillards juvéniles,
A la poupe est assis l'ataman,
Le terrible Stepan Razine,
Une belle captive à ses pieds,
La princesse de Perse lointaine,
Mais Stenka ne voit pas la beauté,
Son œil suit la Volga, notre mère,
Le terrible Stenka dit soudain :
" ô Volga, notre mère que j'aime,
J'ai goûté, tout enfant, de ton eau,
Tu berças doucement mes nuits lentes,
M'emportas dans le vent déchaîné,
Tu veillas sur le brave et ses rêves,
Et comblas mes cosaques de biens.
Je ne t'ai pourtant fait nulle offrande. "
Et Stenka se dressa menaçant,
Empoigna la princesse de Perse,
Et, jetant la beauté dans les flots,
Salua la Volga notre mère.