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L'heure de la guerre ?

« Le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l'orage. »

Jean Jaurès, 1895.

Ce n'est pas une citation à prendre dans son contexte historique, celui de la course aux armements, et à une guerre annoncée, espérée et attendue, une guerre de revanche contre l'Allemagne. Si la citation date de la mise en place des alliances en Europe, qui ont mené à la première guerre totale, puis mondiale, l'axiome reste vrai, et plus que jamais !

C'est une constante de l'histoire du capitalisme, qui s'est confirmée avec l'avènement de l'ère industrielle.

Par l'observation des phases de l'économie du XIX° siècle, l'économiste russe Kondratieff a modélisé ces cycles qui portent son nom :

Aux phases de prospérité, faites de croissances économique et démographique, d'élévation du niveau de vie, de conquêtes sociales par la lutte, succède la stagflation, qui s'exprime par une période d'inflation et d'élévation des prix, où l'obsolescence programmée, devient la règle pour éviter la surproduction. Les découvertes technologiques et leurs applications permettent aux secteurs en déclin d'être remplacés par d'autres. Les classes moyennes émergent et consomment, gage de stabilité politique, se partageant les miettes qui tombent de la table du grand festin.

Puis se développent la course folle au profit et la spéculation financière, le profit à tout prix, et quels qu'en soient les risques... Et tôt où tard, les bulles spéculatives éclatent, comme des bulles de savon. Et ce n'est pas un phénomène nouveau ! C'est le propre de notre système monétaire ! Comme le disait Henry Ford, si les gens comprenaient le système sur lequel repose la monnaie, il s'effondrerait en quelques heures ! L'endettement inévitable des états auprès des banques privées génère les politiques de rigueur, la précarité dans laquelle vivent les peuples et qui fait le lit des révolutions... ou de tous les fascismes.

C'est le temps où, pour détourner la colère et éviter toute contestation sociale, sont désignées des minorités à la vindicte populaire, où leur stigmatisation devient la soupape de sécurité, par excellence... Le bouc-émissaire, auquel on fait porter le poids de toutes nos lâchetés et de nos petites compromissions.

C'est le temps du grand repli identitaire, qui ne sont l'apanage d'aucune civilisation, et exalte la nostalgie en vertu, et va chercher dans les tréfonds de l'histoire la vieille morale qui contrecarre les débordements...

C'est le temps de la grande peur, où les restes du monde, et son humanité constituent une menace, où les esprits se réfugient dans les certitudes, et les corps dans les foyers... C'est le temps où le monde extérieur semble dangereux et est présenté comme tel, à grand coup de persuasion médiatique. L'autre, le jeune, l'étranger, le malade, devient le lépreux des temps modernes, auquel on impose couvre-feu et discrimination.

Mais pour ceux qui encouragent cet état d'esprit et attisent les braises de l'inquiétude, c'est le moment de confiner le peuple dans la médiocrité et la paranoïa. Pour ceux-là, les classes laborieuses SONT les classes dangereuses.

Et quand les bulles éclatent, quelles solutions pour le « Grand Kapital » ?

La première consiste bien évidemment à sauver les profits, en baissant les coûts salariaux, et les coûts de production : licenciements, délocalisations, remise en cause des acquis sociaux, baisse des salaires, hausse du temps de travail... pour investir ? Non : pour payer grassement les dividendes aux actionnaires rendus gourmands par l'argent facile, qui n'est facile que pour eux ! Allez expliquer à ceux qui vivent sous les ponts de Paris que la vielle de leur misère et de leurs galères est une métropole mondiale, capitale d' un pays des pays les plus riches de la planète !

Et lorsque cela ne suffit plus ? La seconde solution : C'est la Guerre. Vive la guerre ! Salutaire pour l'industrie, réduisant les problèmes de la surpopulation mondiale, la guerre coloniale, merveilleuse guerre !

Ce n'est pas le New Deal qui a permis d'étendre les derniers feux de la Crise des Années 30, aux États Unis, c'est la guerre, et la formidable stimulation de l'industrie militaire qu'elle a suscitée.

Ce n'est pas faire insulte aux GI's qui ont débarqué en Normandie que de le dire, ni aux soldats des colonies qui se battaient déjà dans nos tranchées en 14-18... Tous avaient la conviction de se battre pour la liberté, sans doute. Et nous la leur devons, en effet, comme nous la devons aux combattants de Stalingrad, ou aux résistants.

Reste à faire admettre la nécessité de la guerre aux peuples, reste aussi à ne pas mettre directement en danger les pays qu'elle sert... Dans une société du spectacle, où la violence est mise en scène, érigeant chaque fait divers sanglant en leçon de morale, où le moindre débordement, « en marge d'une manifestation » devient une atteinte à la sûreté de l'état, et où la violence sociale quotidienne, qui s'exerce contre les hommes, les femmes, les enfants, est présentée comme une fatalité à laquelle il faut s'adapter, ou disparaître, comment justifier la guerre ?

Alors, la guerre se prépare, patiemment...

Petite recette ? Entretenir, dans les restes du monde, les dictateurs, à grand coup de « coopération », et de ventes d'armes, afin de s'assurer la mainmise sur les ressources de leurs royaumes lointains et poursuivre le grand pillage de ce Tiers-Monde, qu'on a pompeusement rebaptisé « Sud »... Placer les dictateurs récalcitrants sous embargo, afin de les briser... Renouer des liens de « franche amitié » lorsqu'ils se soumettent...

Quelle formidable réservoir de guerres potentielles deviennent alors ces amis dictateurs ! Non seulement, ils sont d'un grand secours pour maintenir l'ordre établi des puissances, et achètent leurs armes en quantité, mais ils deviennent par enchantement l'ennemi à abattre lorsque le capitalisme a besoin d'une bonne guerre !

Il s'agit alors de démontrer que les amis d'hier sont des fous sanguinaires, et que seule une bonne guerre humanitaire, une bonne guerre humanitaire des familles, celle qui sauve les peuples de leurs tyrans, et apporte la démocratie, est indispensable !

Et le monde horrifié de découvrir le tyran d'à côté, celui qui accapare le pouvoir et les richesses depuis plus de 30 ans, parfois depuis les indépendances, le monstre en son labyrinthe, et ses pires excès anthropophages !

Nul doute, pourtant, que les oléoducs fleurissent plus vite que la paix et la liberté, dans ces pays libérés...

Il faut aussi faire admettre que certains peuples méritent plus le soutien « des nations » que d'autres... Les Birmans victimes de leur junte le sont bien moins que les Irakiens. Les Ivoiriens attendront que les Libyens soient libérés. Quelle importance, puisque l'opinion est confortée dans l'idée d'une Afrique sauvage, ou d'une Asie « fataliste » ? Les archétypes,alors, sont d'une grande utilité. L'esprit « Tintin au Congo » s 'exprime librement, avec une condescendance non feinte : il faut guider. les peuples de bons sauvages comme des enfants capricieux...

La guerre pour la liberté et la démocratie... Les références historiques abondent alors, mêlant le mythe à la réalité, en un savant dosage. Mais peut-on comparer la libération d'une Europe occupée, sous la botte nazie, où il s'agissait de restaurer une démocratie, conquise de haute lutte par le peuple, et ces guerres coloniales à peine masquées ?

Mais que de profits ! Pas forcément immédiatement évidents, d'ailleurs... profits des marchands d'armes, routes commerciales préservées, têtes de pont et maîtrise des ressources... Merveilleuse guerre, salutaire, comme une bouffée d'oxygène pour les marchés financiers asphyxiés ! C'est le prix de leur prospérité, et les conditions de notre asservissement.

Nous verserons une petite larme émue quand le tyran tombera, et le royaume lointain sombrera dans l'oubli.

Faut-il sauver les peuples ?

Oui, il faut sauver les peuples ! Oui, il faut qu'une communauté internationale traque les tyrans et les injustices, les criminels contre l'humanité, et fasse du développement et de l'éducation une nouvelle frontière de l'histoire humaine, sauve des vies, parce que toutes ont de la valeur !

Mais de grâce, pas cette communauté internationale-là, pas ce club très fermé des puissants, aux ordres de leurs firmes transnationales, qui jouent avec les peuples devenant les pions d'une partie d'échec dont l'enjeu leur échappe !

Oui ! Il faut sauver tous les peuples, où qu'ils soient et quels que soient les puissants amis de leurs tyrans, et il faut aussi nous sauver nous-même de cette société de la violence établie, cette société du risque, cette société de la précarité pour tous, cette société où ceux qui parlent et exécutent répondent aux exigences de l'humanité en sortant une calculette de la poche de leur veston, puis regardent leur rolex en pensant : "Assez d'humanisme, c'est l'heure de la guerre !"

ASL, paru le 19 mars 2011.

Tag(s) : #guerres
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