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Le 11 septembre 1973, Salvador Allende est assassiné, pendant le coup d'état, soutenu et orchestré par les Etats Unis, qui porte au pouvoir la dictature du général Augusto Pinochet.

Comme l'Amérique Latine dans son ensemble, le Chili est dans l'oeil du cyclone, dont l'épicentre est Washington. Pas question, pour Uncle Sam, de risquer un rapprochement avec l'Union Soviétique, et un nouveau Cuba.

L'influence américaine sur toute l'Amérique Latine, cependant, est bien antérieure à la Guerre Froide. Dès 1823, la doctrine Monroe proclame l'indépendance politique des Etats Unis en refusant toute ingérence politique et militaire européenne sur le continent américain... tout en posant les jalons d'un interventionnisme des Etats Unis, dans les affaires de tous les états des Caraïbes et du Sud du Rio Grande...

Ce qu'on appellera bientôt les "Républiques bananières" entrent dans l'aire d'influence du grand frère étatsunien. Toutes les anciennes colonies espagnoles offrent un marché pour les produits agricoles, puis industriels, de la jeune république fédérale. Et lors de la Guerre Froide, l'Amérique Latine devient une chasse gardée, où sont faits et défaits les gouvernements, où l'opposition est sauvagement réprimée avec la bénédiction de Washington, où l'expérience cubaine et la crise des missiles de 1962 accentuent encore la mainmise américaine, et le rôle de la C.I.A., dans tous les pays du Sud du continent.

Allende est élu le 4 septembre 1970, dans un contexte de crise, soutenu par les partis socialiste et communiste, à la tête d'Unidad Popular. Les Etats Unis, bien évidemment, ont suivi la campagne électorale avec attention, mais distance, persuadés de la victoire du candidat de droite, dont ils ont financé la campagne.

Le réveil est donc difficile à Washington, au matin du 5 septembre, lendemain de l'élection, à laquelle Allende est arrivé premier, avec 35% des voix, ce qui constitue une très faible avance sur le candidat conservateur pro-américain.

Alors, le rouleau-compresseur américain se met en route...

Nixon charge la C.I.A. d'empêcher la confirmation de l'élection par le Congrès chilien, comme l'exige la constitution, prévue le 24 octobre...

En tentant d'influencer le vote des parlementaires en faveur de leur candidat, Alessandrini. Mais le ralliement des formations de gauche et des démocrates chrétiens à l'élection d'Allende interdisent l'application de ce plan.

Nixon passe alors au plan B, "Track Two", dont le but est d'inciter l'armée chilienne à faire invalider les élections. Puissant en son sein, le mouvement d'extrême-droite Patria e Libertad, est l'axe de cette conjuration, finalement démasquée et dénoncée.

Salvador Allende devient donc président de la République du Chili, et les trois premières années de son gouvernements sont marquées par les nationalisations, la réforme agraire, le développement d'une sécurité sociale, une hausse des salaires de 40 à 60%, l'instauration d'un impôt sur les bénéfices des grandes entreprises ... contre vents et marées.

Difficile en effet de résister à la chute des cours du cuivre, principale exportation du pays, savamment orchestrée par les Etats Unis...

Des millions de dollars, tel est le budget de la C.I.A., qui tente de déstabiliser le régime de l'intérieur, allant jusqu'à soutenir; une fois n'est pas coutume, une grève des routiers, afin de venir à bout du soutien populaire au gouvernement chilien.

Et le rapprochement avec Cuba de 1971 n'arrange rien... De plus en plus finement, les Etats Unis jouent de leur influence pour favoriser le chaos économique, et politique, exaltant les luttes qui minent la société chilienne.

Mais, malgré les pénuries et la violence du climat politique, ouvriers et étudiants réaffirment leur soutien à Allende, et sont partie prenante dans la défense du palais présidentiel, en juin 1973, déjà, lorsqu'un régiment de blindés tente de destituer le chef d'état.

C'est alors que le loup entre dans la bergerie. Afin de lutter contre le chaos dans lequel sombre, de semaines en semaines, son pays, Allende nomme général Augusto Pinochet.

Le 11 septembre, le palais présidentiel est encerclé.

Une dernière fois, le président s'adresse à son peuple. Quelques heures plus tard, son cadavre est découvert dans le palais, et quelques jours plus tard, 40 000 personnes sont rassemblées dans le stade de Santiago, par le nouveau régime du général Pinochet. Tortures, disparitions, exils...

Aujourd'hui encore, les mères des disparus cherchent encore les ossements de leurs enfants, jetés d'avion dans le grand désert d'Atacama.

En mai 2011, une analyse médico-légale confirme la thèse du suicide.

Pinochet, quant à lui, après avoir exercé l'une des dictatures les plus sanglantes d'Amérique Latine, après avoir fui, après avoir été libéré, pour raisons de santé, et exempté de ses crimes, meurt dans son lit d'hôpital, à Santiago, en 2006...

L'histoire nous appartient, c'est le peuple qui la fait.

Je paierai de ma vie la défense des principes qui sont chers à cette patrie. La honte tombera sur ceux qui ont trahi leurs convictions, manqué à leur propre parole et se sont tournés vers la doctrine des forces armées. Le peuple doit être vigilant, il ne doit pas se laisser provoquer, ni massacrer mais il doit défendre ses acquis. Il doit défendre le droit de construire avec son propre travail une vie digne et meilleure. A propos de ceux qui ont soi-disant " autoproclamé " la démocratie, ils ont incité la révolte, et ont d'une façon insensée et louche mener le Chili dans le gouffre. Au nom des plus gros intérêts du peuple, au nom de la patrie, je vous appelle pour vous dire de garder l'espoir. l'Histoire ne s'arrête pas ni avec la répression, ni avec le crime. C'est une étape à franchir, un moment difficile. Il est possible qu'ils nous écrasent mais l'avenir appartiendra au peuple, aux travailleurs. L'humanité avance vers la conquête d'une vie meilleure.
Compatriotes, il nous est possible de faire taire les radios, et je prendrai congés de vous. En ce moment sont en train de passer les avions, ils pourraient nous bombarder. Mais sachez que nous somme là pour montrer que dans ce pays, il y a des hommes qui remplissent leurs fonctions jusqu'au bout. Moi je le ferai mandaté par le peuple et en tant que président conscient de la dignité de ce dont je suis chargé.
C'est certainement la dernière opportunité que j'ai de vous parler. Les forces armées aériennes ont bombardé les antennes de radio. Mes paroles ne sont pas amères mais déçues. Elles sont la punition morale pour ceux qui ont trahi le serment qu'ils firent. Soldat du Chili, Commandant en chef, associé de l'Amiral Merino, et du général Mendosa, qui hier avait manifesté sa solidarité et sa loyauté au gouvernement, et aujourd'hui s'est nommé Commandant Général des armées. Face à ces évènements, je peux dire aux travailleurs que je ne renoncerai pas. Dans cette étape historique, je paierai par ma vie ma loyauté au peuple. Je vous dis que j'ai la certitude que la graine que l'on à confié au peuple chilien ne pourra pas être détruit définitivement. Ils ont la force, ils pourront nous asservir mais n'éviteront pas les procès sociaux, ni avec le crime, ni avec la force.
L'Histoire est à nous, c'est le peuple qui la fait. Travailleurs de ma patrie, je veux vous remercier pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la confiance que vous avez reposé sur un homme qui a été le seul interprète du grand désir de justice, qui jure avoir pu respecté la constitution et la loi. En ce moment crucial, la dernière chose que je voudrais vous adresser est que j'espère que la leçon sera retenue.
Le capital étranger, l'impérialisme, ont créé le climat qui a cassé les traditions : celles que montrent Scheider et qu'aurait réaffirmé le commandant Araya. C'est de chez lui, avec l'aide étrangère, que celui-ci espérera reconquérir le pouvoir afin de continuer à défendre ses propriétés et ses privilèges. Je voudrais m'adresser à la femme simple de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous ; à l'ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a toujours bien soigné ses enfants. Je m'adresse aux personnels de l'état, à ceux qui depuis des jours travaillent contre le coup d'état, contre ceux qui ne défendent que les avantages d'une société capitaliste. Je m'adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur esprit de lutte. Je m'adresse aux chiliens, ouvriers, paysans, intellectuels, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le fascisme est présent déjà depuis un moment. Les attentats terroristes faisant sauter des ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et gazoducs ; face au silence de ceux qui avaient l'obligation d'intervenir, l'Histoire les jugera.
Ils vont sûrement faire taire radio Magallanes et vous ne pourrez plus entendre le son métallique de ma voix tranquille. Peu importe, vous continuerez à m'écouter, je serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d'un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et se laisser humilier. Travailleurs : j'ai confiance au Chili et à son destin. D'autres hommes espèrent plutôt le moment gris et amer où la trahison s'imposerait. Allez de l'avant sachant que bientôt s'ouvriront de grandes avenues où passera l'homme libre pour construire une société meilleure.
Vive le Chili, vive le peuple, vive les travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles, j'ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain et qu'au moins ce sera une punition morale pour la lâcheté et la trahison.

Salvador Allende, 11 septembre 1973

Tag(s) : #Amériques
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