Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

8 avril, journée internationale des Roms...

Au sujet des journées internationales, il y a lieu de se poser des questions... Le fait qu'il n'existe pas de journée nationale des Bretons, ça interpelle. Le fait qu'il y ait une Journée Internationale des femmes, alors qu'elles constituent la moitié de l'Humanité, et que rien ne change le lendemain, ça interpelle aussi... Mais bon, profitons-en pour parler, ici, d'un des peuples les plus discriminés d'Europe, qui prête le flanc à tous les pires fantasmes de haine collective...

C'est la moindre des choses. Même si ici, à la Contre-Histoire, nous ne sommes habilités à parler à la place de quiconque, et surtout pas à la place des principaux intéressés, qui le font très bien et luttent chaque jour contre l'oubli du passé ou les affronts gravissimes du présent.

La journée Internationale des Roms est née dans la sillage du premier Congrès International des Roms, qui s'est tenu à Londres le 8 avril 1971, qui donne, en 1978, naissance à l'Union Romani Internationale, donnant du même coup un nom à tout un peuple.

Ambitieuse construction, qui entend représenter les Roms dans plus de trente pays et qui constitue l'acte fondateur d'une nation ancienne, dans toute sa diversité, en s'appuyant sur une constitution qui dépasse largement le cadre communautaire, puisque ses principes s'appuient aussi sur les principes universels des droits humains.

Il serait tellement prétentieux d'entendre en quelques lignes, résumer l'histoire d'un peuple, que nous ne ferons ici que poser quelques jalons d'une histoire longue et riche, en culture, en liberté et en larmes aussi, depuis la sortie de l'Inde, vers l'an mille.

La route est longue, et pas toujours fleurie...

Extrait du film Latcho Drom, de Tony Gatlif, 1993.

Une très longue route, qui s'éparpille sur tous les chemins du monde connu, dans toute l'Asie Centrale, sous domination mongole, puis dans l'Empire Byzantin, jusqu'en Egypte et aux confins occidentaux de l'Eurasie.

Au XVème siècle, ils sont en Suède et en Espagne, en Crête, en Bohème, laissant dans les Chroniques des témoignages de leur passage. Dans un monde encellulé, qui commence à peine à s'ouvrir lui-même sur les autres, c'est une arrivée qui ne passe pas inaperçue. Comme pour les communautés juives, d'Europe, c'est une présence qui oscille invariablement entre tolérance et rejet, entre protection et exclusion.

N'imaginez pas des cohortes de diseuses de bonne aventure ou de musiciens. Ils sont éleveurs de chevaux, forgerons, selliers, et souvent, à l'Est, au service des armées locales, dans les traditions laissées par la coexistence avec les pouvoirs mongols, du temps de l'exil.

Mais déjà, la société immobile impose ses lois, et les décrets imposant la sédentarisation forcée, ou livrant les hommes et les femmes aux tourments et aux bûchers de l'Inquisition succèdent aux déchaînements réguliers de violence, à l'Ouest en particulier.

Le Royaume de France n'est pas en reste. Comme il a expulsé ses Juifs depuis bien longtemps, au bénéfice d'une dette qu'il ne pouvait rembourser, il persécute ses "Bohémiens", méthodiquement. Le Roi Soleil ternit son aura belliqueuse et unificatrice, et pas uniquement par la Révocation, mais aussi par les persécutions orchestrées contre les Roms du Royaume, condamnés sans procès aux galères, éparpillant les familles qui, comme les pauvres et tous les errants, subissent le Grand Enfermement dans les hospices.

Et peu pour les défendre, au siècle des Lumières, parmi les philosophes...

Egyptiens, ou plûtt Bohémiens, s. m. plur. (Histoire mod.) espece de vagabonds déguisés, qui, quoiqu'ils portent e nom, ne viennent cependant ni d'Egypte, ni de Boheme; qui se déguisent sous des habits grossiers, barbouillent leur visage & leur corps, & se font un certain jargon; qui rodent çà [p. 439] & là, & abusent le peuple sous prétexto de dire la bonne - avanture & de guérir les maladies, font des dupes, volent & pillent dans les campagnes.

L'origine de cette espece de vagabonds, qu'on nomme Egyptiens, mais plus souvent Bohémiens, est un peu obscure, & on n'a rien de bien certain sur l'étymologie de ce nom.

Il est vrai que les anciens Egyptiens passoient pour de grands fourbes, & étoient fameux par la finesse de leurs impostures. Peut - être cette idée a - t - elle consacré ce nom dans d'autres langues pour signifier fourbe, comme il est très - certain que les Grecs & les Latins l'ont employé en ce ens; les anciens Egyptiens étant très - versés dans l'Astronomie, qu'on ne distinguoit guere alors de l'Astrologie, peut - être encore aura-t-on pû sur ce fondement donner le nom d'Egyptiens à ces diseurs de bonne - avanture.
L'origine de cette espece de vagabonds, qu'on nomme Egyptiens, mais plus souvent Bohémiens, est un peu obscure, & on n'a rien de bien certain sur l'étymologie de ce nom.

Il est vrai que les anciens Egyptiens passoient pour de grands fourbes, & étoient fameux par la finesse de leurs impostures. Peut - être cette idée a - t - elle consacré ce nom dans d'autres langues pour signifier fourbe, comme il est très - certain que les Grecs & les Latins l'ont employé en ce ens; les anciens Egyptiens étant très - versés dans l'Astronomie, qu'on ne distinguoit guere alors de l'Astrologie, peut - être encore aura - t - on pû sur ce fondement donner le nom d'Egyptiens à ces diseurs de bonne - avanture.

Quoi qu'il en soit, il est peu de nations eu Europe qui n'ayent de ces Egyptiens; mais ils ne portent cependant pas par - tout le même nom.

Les Latins les appelloient oegyptii, & les Anglois les ont imités; les Italiens les nomment zingari ou zingeri, les Allemans ziengner, les François Bohémiens, d'autres Sarrasins, & d'autres Tartares.

Monsther dans sa géographie, liv. III. ch. v. rapporte que ces vagabonds parurent pour la premiere fois en Allemagne en 1417, fort basanés & brûlés du soleil, & dans un équipage pitoyable, à l'exception de leurs chefs qui étoient assez bien vêtus, quoiqu'ils affectassent un air de qualité, traînant avec eux, comme des gens de condition, une meute de chiens de chasse. Il ajoûte qu'ils avoient des passeports du roi Sigismond de Boheme, & d'autres princes. Ils vinre dix ans après en France, d'où ils passerent en Angleterre. Paquier dans ses recherches, liv. IV. chap. xjx. rapporte en cette sorte leur origine: « Le 17 Avril 1427, vinrent à Paris douze penanciers, c'est - à - dire pénitens, comme ils disoient, un duc, un comte, & dix hommes à cheval, qui se qualifioient chrétiens de la basse Egypte, chasses par les Sarrasins, qui étant venus vers le pape, confesserent leurs péchés, reçurent pour pénitence d'aller sept ans par le monde sans coucher en lit. Leur suite étoit d'environ 120 personnes, tant hommes que femmes & enfans, restans de douze cents qu'ils étoient à leur départ. On les logea à la Chapelle, où on les alloit voir en foule: ils avoient les oreilles percées où pendoit une boucle d'argent, leurs cheveux étoient très - noirs & crépés: leurs femmes très laides, sorcieres, larronnesses, & diseuses de bonne - ayanture. L'évêque les oblìgea à se retirer, & excommunia ceux qui leur avoient montré leur main ».

Par l'ordonnance des états d'Orléans de l'an 1560, il fut enjoint à tous ces imposteurs, sous le nom de Bohémiens ou Egyptiens, de vuider le royaume à peine des galeres. Ils se diviserent alors en plus petites compagnies, & se répandirent dans toute l'Europe. Le premier tems où il en soit fait mention en Angleterre, c'est après ce troisieme réglement, savoir en 1565.

Article "Egyptiens" de l'Encyclopédie.

Mais, de persécutions en persécutions, c'est aussi une identité qui se forge, et qui fascine d'autant les Romantiques du XIXème siècle et ceux qui leur succèdent... L'Esmeralda d'Hugo et la Carmen de Bizet dansent encore dans les mémoires collectives.

En revanche, les pires atteintes à la liberté des Roms, dans une Europe des peuples qui se battent pour leur émancipation ou pour leurs libertés fondamentales, ne font guère couler des litres d'encre... Tandis que, depuis le Moyen Age, tout un peuple se parcelle et que ses noms se diversifient de plus en plus, et les enferrent dans les réalités locales des états et les régions dans lesquelles ils vivent : Gitans, Tsiganes, Gypsies, Romanichels, Manouches... Il y a tant de noms, jusqu'aux terres d'Outre-Atlantique, atteintes en même temps que par les crève-la-faim irlandais ou italiens.

Puis le XXème siècle marque ce peuple d'une empreinte indélébile. La France de la Troisième, forte de son enracinement dans les mentalités et de ses valeurs mythologiques, leur impose un livret anthropométrique,dès 1912 tandis que les penseurs allemands de la Nation, chantres du droit du sang, en font des impurs et peu après des "asociaux", dans le grand délire génétique de fin du monde qui se profile. Peu importe que certains soient morts ou aient été mutilés dans les tranchées de la Grande Guerre, l'heure est à la "race".

C'est alors que s'écrivent les pages les plus sombres, en même temps que les communautés juives d'Europe sont une à une, méthodiquement et industriellement éradiquées de la surface de la terre. L'autre génocide, Porajmos, porte bien son nom, issu du verbe qui signifie "dévorer".

Le peuple dévoré, d'autant plus facilement qu'il est très largement fiché, bien avant les Juifs d'Europe et bien avant l'ombre de la botte nazie sur l'Europe, c'est 200 000 personnes, enfants, femmes et hommes, qui croupissent et meurent dans tous les camps de France, d'Europe, et de Pologne, dans le "camp des familles, à Auschwitz.

Obsédés par la difficulté que constitue l'origine indo-européenne des langues roms d'Europe, c'est en tant qu'asociaux, que les nazis les liquident à l'été 1944, après avoir largement martyrisés les corps, dans des expériences innommables.

Extrait du film Latcho Drom de Tony Gatlif... Auschwitz, chanté par Margita Makulová, survivante.

Alors... Une journée internationale de plus ?

Pas pour la Contre-Histoire, en tout cas.

Pas tant que le racisme ordinaire, jusque dans les médias, ne soit éradiqué... Parce qu'il est admis et encouragé.

Pas tant que la liberté de circuler dans l'espace Schengen concernera les "plombiers polonais" mais jamais ceux qui fuient des conditions de vie atroce, dans tous les anciens pays du bloc soviétique, en Roumanie, en Hongrie, en Bulgarie. Faut-il être stupide pour imaginer que les gens quittent leur terre et se jettent sur les routes, s'entassent dans des camps indignes, uniquement pour déranger les autochtones?!

Pas tant que les représentants Roms ne seront même pas invités à prendre la parole aux commémorations de la libération d'Auschwitz. Est-ce pour faire oublier que ceux-là sont les enfants et petits-enfants de ceux, qui y sont morts. C'est tellement pragmatique de taire l'histoire quand on a besoin de minorités à désigner à la vindicte de la populace...

Pas tant qu'on tabassera à mort un gosse de 18 ans et qu'on le laissera au bord d'une route dans un caddy. Il est vivant, ne vous en déplaise !

Pas tant qu'on parlera de "voleurs d'enfants" (aux yeux bleus de préférence, quels délires racialistes !) comme de voleurs de poules, et qu'on soupçonnera des mères d'exploiter la misère de leurs enfants, alors que la misère suffit à elle-seule à expliquer qu'on se pose dans un coin et qu'on mendie pour survivre.

Pas tant que la République ne saura pas faire respecter les droits de ses citoyens en terme d'aires d'accueil et de scolarisation, et qu'on refusera d'enterrer des enfants sur le territoire de certaines communes.

Mais on ne peut qu'être solidaires, sans réserve et se faire entendre à chaque fois qu'une de ces horreurs se produit.

Mais c'est le combat d'une communauté déterminée, une communauté qui a entrepris de mener avec opiniâtreté cette course pour la mémoire et pour son avenir, avec patience, passion et courage.

Admiration et solidarité, hier, aujourd'hui et demain.

ASL.

Extrait de Latcho Drom, de Tony Gatlif, 1993. La Kaíta, "El pájaro negro".

Tag(s) : #Peuples !
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :