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" Tout ça ne nous rendra pas le Congo ! " (1)

Telle est l'expression encore employée en Belgique, pour désigner ce qu'on a perdu et qu'on ne retrouvera jamais, malgré "tout ça", ce qui peut être dit, entendu ou fait...

Dès les années 1860, à l'heure des explorations, le roi des Belges, Léopold II fait preuve d'une opiniâtreté sans faille dans la course aux colonies que se livrent les puissances européennes, en dépit des avis contraires de son parlement, qui voit, dans l'aventure coloniale, un gouffre financier contraire aux intérêts de la jeune Belgique, née en 1830.

Qu'importe... Léopold est prêt à revendiquer ces territoires en son nom propre. Et c'est sous prétexte d'éradiquer la traite des esclaves, et de développer un programme de santé qu'il convoque, en 1876, une conférence animée par des géographes et des associations philanthropique. L'ombre de la mission civilisatrice à la française plane sur les velléités du roi des Belges, et les mêmes prétextes humanitaires sont invoqués...

Lorsqu'Henri Morton Stanley, le célèbre explorateur britannique qui, quelques années plus tôt, a retrouvé le Dr Livingstone, et jouit d'un grand prestige après la publication de son livre, Comment j'ai retrouvé Livingstone, débarque à Marseille en 1878, il y est accueilli par le baron Greindl et le général Sanford, émissaire du roi Léopold. C'est en secret que Stanley repart en mission pour lé roi, afin d'acheter, pour une bouchée de pain, à des chefs de village qui ne peuvent lire les contrats, de nombreuses terres autour du fleuve Congo, axe de pénétration majeur vers les richesses de l'Afrique Centrale. Lorsque se dressent une opposition, elle est éliminée, à coup de fusil, simplement.

De l'embouchure du fleuve Congo jusqu'au "Stanley Pool", la piste avance rapidement et des milliers d'Africains y laissent la vie, dans des conditions de travail atroces. Stanley, malgré cette brutalité, qui lui vaudra plus tard de nombreuses critiques, passe pourtant pour un libérateur d'esclaves, en s'attaquant aux intérêts des grands trafiquants de Zanzibar, comme Tippo Tip, avec lequel il était initialement allié.

Peu à peu, l'intérêt des Belges pour les territoires conquis s'accroît et le Parlement accorde l'envoi de troupes afin de prendre le relais de Stanley.

Les industriels belges commencent également à entrevoir toutes les ressources de cette colonie. Un système de domination colonial, original dans son organisation, mais égal aux autres dans la violence de son application, se met en place au Congo.

" Tout ça ne nous rendra pas le Congo ! " (1)

En 1885, Léopold II est devenu roi de " l'Etat Indépendant du Congo ", reconnu et soutenu par les Etats-Unis, grâce à l'entremise de Stanford, diplomate américain oeuvrant pour le roi des Belges, le même qui accueillit Stanley, quelques années plus tôt. Si le sort de ces territoire n'a pas été fixé par la Conférence de Berlin, l'Allemagne, puis la France et le Portugal, aux termes d'accords territoriaux, reconnaissent la domination belge.

La mémoire collective a retenu le paternalisme bon enfant, et profondément raciste de Tintin au Congo... Malgré l'image de "roi philanthrope " de Léopold, la réalité de la domination belge est bien plus brutale.

Certains n'y ont vu que la perpétuation des exactions commises depuis des siècles par les marchands d'esclaves, dans l'organisation de la traite arabe... C'est en réalité un système économique et un mode de gouvernement caractéristique qui se met en place, fondé sur le meurtre de masse des " Indigènes ".

L'une des principales caractéristiques de cette domination est la place de l'Eglise Catholique, qui évangélise à tour de bras, et instrumentalise la religion à des fins de domination politique, tandis que l'administration coloniale belge se met en place, confiée au gouverneur général Camille Janssen. L'autre est la place prépondérante des compagnies de commerce, qui ont tout pouvoir dans les régions qu'elles contrôlent.

L'économie coloniale se fonde en premier lieu sur l'exploitation de l'ivoire, puis sur l'établissement d'une agriculture de plantations. le caoutchouc, le copal, la cire, le café et le cacao deviennent les fondements du pillage orchestré par des sociétés belges qui obtiennent, en même temps que le monopole sur les terres, le pouvoir sur les hommes, les femmes et les enfants qui y vivent.

A l'image des pratiques coloniales britanniques, la coercition des populations s'appuie sur le recrutement d'indigènes, appelés " Libérés " qu vont former les contingents d'esclaves, au service des autorités belges et des florissantes compagnies coloniales : la Compagnie du Congo pour le Commerce et l’industrie (CCCI) composée en outre de la Société Anonyme Belge pour le Commerce du Haut Congo (SAB), soutenue par le gouvernement belge, la Compagnie du Chemin de Fer du Congo, la Compagnie du Katanga, la Compagnie des magasins généraux, la Compagnie des produits du Congo,et le Syndicat Commercial du Katanga, qui, toutes, ont leur siège rue Bréderode à Bruxelles et obtiennent le monopole de l'exploitation des ressources et des hommes.

" Poussez, je vous prie, la levée des soldats dans tous les districts : c’est la question capitale en ce moment. Qu’on prenne les hommes par la force -comme en Europe-ou qu’on les rachète, peu importe. L’État a le droit d’exiger ce service, et c’est pour lui une question de vie ou de mort. Les sources de recrutement à l’étranger nous feront défaut dans peu de temps." (Vaneetvelde à Wahis, gouverneur général à Boma avril 1892).

Dans les rangs des "libérés", la mortalité est effarante. Les " tâches de portage ", notamment, sont particulièrement mortifères. L'usage de la chicotte, du nom de ce fouet dont on tâte les fesses des esclaves récalcitrants, se généralise. De nombreux enfants déplacés se retrouvent seuls dans les camps de travail, sur les chantiers et dans les plantations.

" Que dirais-je des enfants ? Il y en a partout. Je ne parlerai que de Djabir, où ils se trouvent par centaines et où il arrive des quantités chaque jour, appartenant à des races magnifiques. Ils sont une des richesses de l’état. On ne sait combien il y en a , il n’y a pas de contrôle, on ne s’en occupe pas…et les petits malheureux vivent dans le camp au hasard. Beaucoup meurent des misères de la route , dit le docteur chef de station, le Dr Vancampenhout , des misères de la station, prétend M. Daenen, chef de la zone de Djabir. Quoiqu’il en soit, j’ai vu quantité de petits squelettes ambulants et ceux-là meurent faute de soins. L’un d’eux agonisait à ma porte. Je demande au docteur s’il n’y a plus rien à faire ? Rien me dit-il-Mais avec des soins?- Je ne sais, peut-être- Alors, donnez-moi cette petite fille. Malgré les fatigues de la route à dos d’homme et en pirogue, l’enfant se porte actuellement bien. Le docteur et le chef de zone m’ont reconnu l’un et l’autre que toutes les petites filles de la station -oh, de tout petits enfants, étaient violées. On le sait et on a rien su faire pour les protéger..."

" Tout ça ne nous rendra pas le Congo ! " (1)

Dès les années 1890, les missionnaires catholiques affluent. Il s'agit en effet de contrecarrer l'avancée des missios protestantes, dont certaines sont animées par des pasteurs afro-américains, qui n'hésitent pas à prendre la défense des populations.

La Congrégation de Scheut, avant d'évangéliser, s'approprie les terres et constitue, en achetant des milliers d'hommes, des colonies de peuplement. Des milliers d'enfants sont enlevés à leurs familles pour êtres " civilisés " dans les écoles des missionnaires, afin de devenir de bons militaires au service de la Belgique. L'enlèvement des enfants congolais à des fins militaires ne date pas de l'indépendance...

Certaines de ces missions sont décrites comme de véritables camps de mort, tant les conditions de vie y sont atroces. Les missionnaires, pour expliquer les chiffres de la mortalité, invoquent des " épidémies " étranges et tropicales...

" Jamais ni moi-même ni, à ma connaissance, personne parmi mes missionnaires, nous n’avons été témoins oculaires d’un acte de cruauté, ni d’un effet quelconque d’un tel acte ", affirme l'évêque Vanronslé en 1904...

Et si quelques révoltes éclatent, elles sont matées par des massacres de villages entiers, comme en attestent les froides descriptions du journal du sous-officier Louis Leclercq, ou les ordres donnés par Alphonse Jacques, ancien chef de la force antiesclavagiste belge :

" Nous devons taper sur eux jusqu’à soumission absolue ou extinction complète…Prévenez encore une toute dernière fois les gens d’Inongo et mettez au plus tôt votre projet à exécution de les accompagner dans le bois, ou bien rendez-vous au village avec une bonne trique. Au premier chimbèque adressez-vous au propriétaire: Voilà un panier tu vas le remplir de caoutchouc. Allez, file dans le bois et tout de suite, et si dans 8 jours tu n’es pas revenu avec 5 kg, je flambe ton chimbèque ! et vous flambez,-comme vous l’avez promis. La trique servira à chasser dans les bois ceux qui ne veulent pas quitter le village. En brûlant [les cases] une à une , je crois que vous ne serez pas obligé d’aller jusqu’au bout avant d’être obéi.

PS: Prévenez-les que s’ils coupent encore une liane, je les exterminerai tous jusqu’au dernier. "

" Tout ça ne nous rendra pas le Congo ! " (1)

A partir de 1898, ce sont des milliers d'Africains qui meurent le long du tracé de la ligne ferroviaire Matadi-Kinshasa, tandis que la propagande coloniale évoque les progrès sanitaires et la scolarisation des petits Congolais... La dénonciation des crimes, de plus en plus soutenue, ne parvient pas à entamer le mythe du " roi philanthrope ".

En 1906, sous l'impulsion des Etats-Unis, une commission d'enquête internationale est déléguée, que le roi des Belges anticipe en envoyant ses propres enquêteurs, un Belge, un Suisse et un Italien. Ceux-ci reviennent épouvantés de ce qu'ils découvrent des réalités de l'exploitation coloniale, ce qui conduit Léopold à substituer à leur rapport un faux, qui parait dans la presse internationale.

En effet, les témoignages sont accablants .

Llange Kunda de M’Bongo : "J’ai connu Malu-Malu[Charles Massart]. Il était très mauvais; il nous forçait à apporter du caoutchouc. Un jour, je l’ai de mes yeux vu tué un indigène nommé Bongiyangwa, uniquement parce que, parmi les 50 paniers de caoutchouc qu’on avait apportés, il s’en trouvait un qui n’était pas suffisamment rempli. Malu-Malu a ordonné au soldat Tshumpade de saisir l’indigène qui était en défaut et de l’attacher à un palmier. Il y avait 3 liens, un a la hauteur des genoux, un second à la hauteur du ventre, et le troisième qui enserrait les bras. Malu-Malu avait sa cartouchière à la ceinture; il a pris son fusil, a tiré d’une distance d’environ vingt mètres, et d’une seule cartouche il a tué Bongiyangwa. La balle a frappé l’indigène en pleine poitrine, au milieu du sternum, et est sortie par le dos: j’ai vu la blessure. Le malheureux a poussé un cri et est mort. Témoin : M’Putila de Yembe:

"Comme vous le voyez, j’ai la main droite coupée. C’est Boula Matari qui m’a mutilé ainsi. Quand j’étais tout petit, les soldats sont venus faire la guerre dans mon village à cause du caoutchouc. Ils ont tiré des coups de fusils et comme je fuyais, une balle m’a rasé la nuque et m’a fait la blessure dont vous voyez encore la cicatrice. Je suis tombé et j’ai fait semblant d’être mort. Un soldat à l’aide d’un couteau m’a coupé la main droite et l’a emportée. J’ai vu qu’il était porteur d’autres mains coupées.…Le même jour, mon père et ma mère ont été tués, et je sais qu’ils ont eu les mains coupées."

L'historien américain, Adam Hochschild, en 1999, fait paraître son ouvrage, Les Fantômes de Léopold - La terreur coloniale dans l'état du Congo (1884-1908), qui rend compte de la mort de dix millions de Congolais, démontant les mécanismes de cette violence inouïe,

Bien sûr que les meurtres à grande échelle n'ont pas été perpétrés en proportion égale partout dans l'état indépendant du Congo. C'était pire là où l'esclavagisme régnait pour la récolte du caoutchouc. Mais tous les camps de concentration nazis n’ont pas été des machines à tuer comme à Auschwitz. Est-ce que cela veut dire que les nazis n’ont pas perpétré un holocauste? Malgré ses vues colonialistes, le Pr.Stengers est un chercheur méticuleux et talentueux. Le problème est qu’il n’accepte pas les implications de ce qu’il a découvert. Par exemple, si cela n’avait pas été écrit de sa plume, je n’aurais rien su de l'estimation que la population congolaise a été réduite de moitié, pendant et directement après l’ère de Léopold II, et que ces crimes furent commis sous la direction d’une agence gouvernementale belge
La population congolaise n'a certainement pas oublié ces crimes. Mais jusqu'à récemment, ils étaient encore en grande partie ignorés en Belgique. Ces événements sont presque totalement absents des livres scolaires belges. Que dirions-nous si les livres scolaires allemands ignoraient l'Holocauste ou si les livres américains ignoraient (ce qui fut le cas jusqu'à récemment) le génocide des aborigènes d'Amérique du Nord ?

Interview d'Adam Hochschild, par

" Tout ça ne nous rendra pas le Congo ! " (1)

Comme tous les peuples colonisés, les Congolais ont payé un lourd tribut à la Grande Guerre, contre les troupes allemandes en Afrique, et la reconnaissance de leur sacrifice tarde encore à venir. Si la domination belge s'assouplit, en apparence, à partir des années vingt, tous les éléments sont réunis pour faire de la décolonisation du pays, et de son avenir, une tragédie, qui se joue encore aujourd'hui.

Sous l'influence des pasteurs afro-américains, tels William Henry Sheppard et George Washington Williams, mais aussi, auprès du peuple Kongo, Simon Kibangu (photo), fondateur de l'Eglise Kibanguiste, et auquel son peuple prête des pouvoirs thaumaturgiques, les mouvements nationalistes congolais émergent peu à peu, et le terme dipanda, indépendance, apparaît dans le vocabulaire kikongo.

" Tout ça ne nous rendra pas le Congo ! " (1)
Tag(s) : #Afrique, #Colonisation
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